Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

très-effrayante ; mais après l’exécution je la trouvai moins terrible à l’épreuve que l’attente ne l’avoit été, & ce qu’il y a de plus bizarre est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avoit imposé. Il falloit même toute la vérité de cette affection & toute ma douceur naturelle pour m’empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant : car j’avois trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m’avoit laissé plus de désir que de crainte de l’éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêloit sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frere ne m’eût point du tout paru plaisant. Mais de l’humeur dont il étoit, cette substitution n’étoit gueres à craindre, & si je m’abstenois de mériter la correction, c’étoit uniquement de peur de fâcher Mlle. Lambercier ; car tel est en moi l’empire de la bienveillance & même de celle que les sens ont fait naître, qu’elle leur donna toujours la loi dans mon cœur.

Cette récidive que j’éloignois sans la craindre arriva sans qu’il y eût de ma faute ; c’est-à-dire de ma volonté & j’en profitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la derniere : car Mlle. Lambercier s’étant sans doute apperçue à quelque signe que ce châtiment n’alloit pas à son but, déclara qu’elle y renonçoit & qu’il la fatiguoit trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre & même en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre & j’eus désormais l’honneur dont je me serois bien passé d’être traité par elle en grand garçon.