Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

Nous occupions un cachot si étouffé, qu’on avoit besoin quelquefois d’aller prendre l’air sur la terre. Anet engagea Maman à louer dans un faubourg un jardin pour y mettre des plantes. À ce jardin étoit jointe une guinguette assez jolie qu’on meubla suivant l’ordonnance. On y mit un lit ; nous allions souvent y dîner & j’y couchois quelquefois. Insensiblement je m’engouai de cette petite retraite, j’y mis quelques livres, beaucoup d’estampes ; je passois une partie de mon tems à l’orner & à y préparer à Maman quelque surprise agréable lorsqu’elle s’y venoit promener. Je la quittois pour venir m’occuper d’elle, pour y penser avec plus de plaisir ; autre caprice que je n’excuse ni n’explique, mais que j’avoue parce que la chose étoit ainsi. Je me souviens qu’une fois Madame de Luxembourg me parloit en raillant d’un homme qui quittoit sa maîtresse pour lui écrire. Je lui dis que j’aurois bien été cet homme-là & j’aurois pu ajouter que je l’avois été quelquefois. Je n’ai pourtant jamais senti près de Maman ce besoin de m’éloigner d’elle pour l’aimer davantage ; car tête-à-tête avec elle j’étois aussi parfaitement à mon aise que si j’eusse été seul & cela ne m’est jamais arrivé près de personne autre, ni homme ni femme, quelque attachement que j’aye eu pour eux. Mais elle étoit si souvent entourée & de gens qui me convenoient si peu, que le dépit & l’ennui me chassoient dans mon asyle, où je l’avois comme je la voulois, sans crainte que les importuns vinssent nous y suivre.

Tandis qu’ainsi partagé entre le travail, le plaisir & l’instruction, je vivois dans le plus doux repos, l’Europe n’étoit pas si tranquille que moi. La France & l’Empereur venoient