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absolument un verger au bord de ce lac & non pas d’un autre ; il me faut un ami sûr, une femme aimable, une vache & un petit bateau. Je ne jouirai d’un bonheur parfait sur la terre que quand j’aurai tout cela. Je ris de la simplicité avec laquelle je suis allé plusieurs fois dans ce pays-là uniquement pour y chercher ce bonheur imaginaire. J’étois toujours surpris d’y trouver les habitans, sur-tout les femmes d’un tout autre caractere que celui que j’y cherchois. Combien cela me sembloit disparate ! Le pays & le peuple dont il est couvert ne m’ont jamais paru faits l’un pour l’autre.

Dans ce voyage de Vevay, je me livrois en suivant ce beau rivage à la plus douce mélancolie. Mon cœur s’élançoit avec ardeur à mille félicités innocentes, je m’attendrissois, je soupirois & pleurois comme un enfant. Combien de fois m’arrêtant pour pleurer à mon aise, assis sur une grosse pierre, je me suis amusé à voir tomber mes larmes dans l’eau ?

J’allai à Vevay loger à la Clef, & pendant deux jours que j’y restai sans voir personne je pris pour cette ville un amour qui m’a suivi dans tous mes voyages & qui m’y a fait établir enfin les Héros de mon roman. Je dirois volontiers à ceux qui ont du goût & qui sont sensibles : allez à Vevay, visitez le pays, examinez les sites, promenez-vous sur le lac & dites si la nature n’a pas fait ce beau pays pour une Julie, pour une Claire & pour un St. Preux ; mais ne les y cherchez pas. Je reviens à mon histoire.

Comme j’étois catholique & que je me donnois pour tel, je suivois sans mystere & sans scrupule le culte que j’avois embrassé. Les dimanches quand il faisoit beau j’allois à la messe