ce voyage comme une affaire de huit jours tout au plus. La Giraud qui ne pensoit pas de même arrangea tout. Il fallut bien avouer l’état de mes finances. On y pourvut : la Merceret se chargea de me défrayer, & pour regagner d’un côté ce qu’elle dépensoit de l’autre, à ma priere on décida qu’elle enverroit devant son petit bagage & que nous irions à pied à petites journées. Ainsi fut fait.
Je suis fâché de faire tant de filles amoureuses de moi. Mais comme il n’y a pas de quoi être bien vain du parti que j’ai tiré de toutes ces amours-là, je crois pouvoir dire la vérité sans scrupule. La Merceret, plus jeune & moins déniaisée que la Giraud, ne m’a jamais fait des agaceries aussi vives ; mais elle imitoit mes tons, mes accents, redisoit mes mots, avoit pour moi les attentions que j’aurois dû avoir pour elle & prenoit toujours grand soin, comme elle étoit fort peureuse, que nous couchassions dans la même chambre : identité qui se borne rarement là dans un voyage, entre un garçon de vingt ans & une fille de vingt-cinq.
Elle s’y borna pourtant cette fois. Ma simplicité fut telle que quoique la Merceret ne fût pas désagréable, il ne me vint pas même à l’esprit durant tout le voyage, je ne dis pas la moindre tentation galante, mais même la moindre idée qui s’y rapportât, & quand cette idée me seroit venue, j’étois trop sot pour en savoir profiter. Je n’imaginois pas comment une fille & un garçon parvenoient à coucher ensemble ; je croyois qu’il falloit des siecles pour préparer ce terrible arrangement. Si la pauvre Merceret en me défrayant comptoit sur quelque équivalent, elle en fut la dupe, & nous arrivâmes