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ces pieces une attestation du fait que je viens de rapporter, en quoi je fis bien ; mais en quoi je fis mal, ce fut de donner ce fait pour un miracle. J’avois vu l’Evêque en priere & durant sa priere j’avois vu le vent changer & même très-à propos : voilà ce que je pouvois dire & certifier : mais qu’une de ces deux choses fût la cause de l’autre, voilà ce que je ne devois pas attester, parce que je ne pouvois le savoir. Cependant autant que je puis me rappeller mes idées, alors sincerement catholique, j’étois de bonne foi. L’amour du merveilleux si naturel au cœur humain, ma vénération pour ce vertueux Prélat, l’orgueil secret d’avoir peut-être contribué moi-même au miracle, aiderent à me séduire, & ce qu’il y a de sûr est que si ce miracle eût été l’effet des plus ardentes prieres, j’aurois bien pu m’en attribuer ma part.

Plus de trente ans après, lorsque j’eus publié les Lettres de la Montagne, M. Fréron déterra ce certificat, je ne sais comment & en fit usage dans ses feuilles. Il faut avouer que la découverte étoit heureuse & l’à-propos me parut à moi-même très-plaisant.

J’étois destiné à être le rebut de tous les états. Quoique M. Gâtier eût rendu de mes progrès le compte le moins défavorable qu’il lui fût possible, on voyoit qu’ils n’étoient pas proportionnés à mon travail & cela n’étoit pas encourageant pour me faire pousser mes études. Aussi l’Evêque & le Supérieur se rebuterent-ils & on me rendit à Madame de Warens comme un sujet qui n’étoit pas même bon pour être prêtre ; au reste assez bon garçon, disoit-on & point vicieux ; ce qui fit que malgré tant de préjugés rebutans sur mon compte, elle ne m’abandonna pas.