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recevoir. Le sort qui sembloit contrarier leur passion ne fit que l’animer. Le jeune amant ne pouvant obtenir sa maîtresse, se consumoit de douleur ; elle lui conseilla de voyager pour l’oublier. Il voyagea sans fruit & revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu’il aimoit tendre & fidelle. Après cette épreuve il ne restoit qu’à s’aimer toute la vie ; ils le jurerent & le Ciel bénit leur serment.

Gabriel Bernard, frere de ma mere, devint amoureux d’une des sœurs de mon pere ; mais elle ne consentit à épouser le frere qu’à condition que son frere épouseroit la sœur. L’amour arrangea tout & les deux mariages se firent le même jour. Ainsi mon oncle étoit le mari de ma tante & leurs enfans furent doublement mes cousins-germains. Il en naquit un de part & d’autre au bout d’une année ; ensuite il fallut encore se séparer.

Mon oncle Bernard étoit Ingénieur : il alla servir dans l’Empire & en Hongrie sous le Prince Eugene. Il se distingua au siége & à la bataille de Belgrade. Mon pere, après la naissance de mon frere unique, partit pour Constantinople où il étoit appellé & devint horloger du Sérail. Durant son absence, la beauté de ma mere, son esprit, ses talens, *

[*Elle en avoit de trop brillans pour son état ; le Ministre son pere qui l’adoroit, ayant pris grand soin de son éducation. Elle dessinoit, elle chantoit, elle s’accompagnoit du Théorbe, elle avoit de la lecture & faisoit des vers passables. En voici qu’elle fit imprompu dans l’absence de son frere & de son mari, se promenant avec sa belle-sœur & leurs deux enfans, sur un propos que quelqu’un lui tint à leur sujet.

Ces deux Messieurs qui sont absens

Nous sont cheres de bien des manieres ;

Ce sont nos amis, nos amans ;

Ce sont nos maris & nos freres,

Et les peres de ces enfans.]

lui attirerent des hommages. M. de la Closure, Résident de France, fut