Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/445

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’on s’y prenne, avant qu’on ait donné à la Pologne tout ce qui lui manque pour être en état de résister à ses ennemis, elle en sera cent fois accablée. La vertu de ses citoyens, leur zèle patriotique, la forme particulière que des institutions nationales peuvent donner à leurs ames, voilà le seul rempart toujours prêt à la défendre, & qu’aucune armée ne sauroit forcer. Si vous faites en sorte qu’un Polonois ne puisse jamais devenir un Russe, je vous réponds que la Russie ne subjuguera pas la Pologne.

Ce sont les institutions nationales qui forment le génie, le caractère les goûts & les mœurs d’un peuple, qui le font être lui & non pas un autre, qui lui inspirent cet ardent amour de la patrie fondé sur des habitudes impossibles à déraciner, qui le font mourir d’ennui chez les autres peuples au sein des délices dont il est privé dans son pays. Souvenez-vous de ce Spartiate gorgé des voluptés de la cour du grand Roi, à qui l’on reprochoit de regretter la sauce noire. Ah ! dit-il au Satrape en soupirant ; je connois tes plaisirs ; mais tu ne connois pas les nôtres !

Il n’y a plus aujourd’hui de François, d’Allemand, d’Espagnols, d’Anglois même, quoi qu’on en dise ; il n’y a que des Européens. Tous ont les mêmes goûts, les mêmes passions, les mêmes mœurs, parce qu’aucun n’a reçu de formes nationales par une institution particulière. Tous, dans les mêmes circonstances feront les mêmes choses ; tous se diront désintéressés & seront fripons ; tous parleront du bien public & ne penseront qu’à eux-mêmes ; tous vanteront la médiocrité, & voudront être des Crésus ; ils n’ont d’ambition que pour le luxe, ils n’ont de passion que celle de l’or. Surs d’avoir