Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/436

Cette page n’a pas encore été corrigée

dont les goûts, les mœurs, les préjugés & les vices*

[*Wielhorski manuscrit "les préjugés, les vertus & les vices"] sont trop enracinés pour pouvoir être aisément étouffés par des semences nouvelles. Une bonne institution pour la Pologne ne peut être l’ouvrage que des Polonois, ou de quelqu’un qui ait bien étudié sur les lieux la nation Polonoise & celles qui l’avoisinent. Un étranger ne peut guère donner que des vues générales, pour éclairer non pour guider l’instituteur. Dans toute la vigueur de ma tête je n’aurois pu saisir l’ensemble de ces grands rapporte. Aujourd’hui qu’il me reste à peine la faculté de lier des idées, je dois me borner, pour obéir à M. le Comte Wielhorski, & faire acte de mon zele pour sa patrie, à lui rendre compte des impressions que m’a faites la lecture de son travail, & des réflexions qu’il m’a suggérées.

En lisant l’histoire du Gouvernement de Pologne on a peine à comprendre comment un Etat si bizarrement constitué a pu subsister si long-tems. Un grand Corps formé d’un grand nombre de membres morts, & d’un petit nombre de membres désunis, dont tous les mouvemens presque indépendans les uns des autres, loin d’avoir une fin commune s’entre-détruisent mutuellement, qui s’agit beaucoup pour ne rien faire, qui ne peut faire aucune résistance à quiconque veut l’entamer, qui tombe en dissolution cinq ou six fois chaque siècle, qui tombe en paralysie à chaque effort qu’il veut faire, à chaque besoin auquel il veut pourvoir, & qui, malgré tout cela, vit & se conserve en vigueur ; voilà, ce me semble, un des plus singuliers spectacles qui puissent frapper un être pensant. Je vois tous les Etats de l’Europe courir à leur ruine. Monarchies, Républiques, toutes ces nations si magnifiquement instituées,