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dangereuse qu’on puisse admettre, & la plus directement opposée aux loix fondamentales de la société. Loin qu’un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens & leurs vies à la défense de chacun d’eux, afin que la foiblesse particulière fût toujours protégée par la force publique, & chaque membre par tout l’Etat. Après avoir par supposition retranché du peuple un individu après l’autre, pressez les partisans de cette maxime à mieux expliquer ce qu’ils entendent par le Corps de l’Etat ; & vous verrez qu’ils le réduiront à la fin à un petit nombre d’hommes qui ne sont pas le peuple, mais les officiers du peuple, & qui s’étant obligés par un serment particulier à périr eux-mêmes pour son salut, prétendent prouver par-là que c’est à lui de périr pour le leur.

Veut-on trouver des exemples de la protection que l’Etat doit à ses membres, & du respect qu’il doit à leurs personnes ? ce n’est que chez les plus illustres & les plus courageuses nations de la terre qu’il faut les chercher, & il n’y a guère que les peuples libres où l’on sache ce que vaut un homme. À Sparte, on sait en quelle perplexité se trouvoit toute la République lorsqu’il étoit question de punir un citoyen coupable. En Macédoine, la vie d’un homme étoit une affaire si importante, que dans toute la grandeur d’Alexandre, ce puissant monarque n’eût osé de sang-froid faim mourir un Macédonien criminel, que l’accusé n’eût comparu pour se défend redevant ses concitoyens, & n’eût été condamné par eux. Mais les Romains se distinguèrent au-dessus de tous les peuples de la terre par les égards du Gouvernement pour