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même parmi les gens de lettres, que chacun ne fait guere sous le nom pompeux d’étude de l’homme que celle des hommes de son pays. Les particuliers ont beau aller & venir, il semble que la philosophie ne voyage point : aussi celle de chaque peuple est-elle peu propre pour un autre. La cause de ceci est manifeste, au moins pour les contrées éloignées : y a gueres que quatre sortes d’hommes qui fassent des voyages de long cours, les marins, les marchands, les soldats & les missionnaires ; or, on ne doit gueres s’attendre que les trois premieres classes fournissent de bons observateurs, & quant à ceux de la quatrieme, occupés de la vocation sublime qui les appelle, quand ils ne seroient pas sujets à des préjugés d’état comme tous les autres, on doit croire qu’ils ne se livreroient pas volontiers à des recherches qui paroissent de pure curiosité, & qui les détourneroient des travaux plus importans auxquels ils se destinent. D’ailleurs, pour prêcher utilement l’Evangile, il ne faut que du zele, & Dieu donne le reste ; mais pour étudier les hommes, il faut des talens que Dieu ne s’engage à donner à personne, & qui ne sont pas toujours le partage des saints. On n’ouvre pas un livre de voyages ou l’on ne trouve des descriptions de caracteres & de mœurs ; mais on est tout étonné d’y voir que ces gens qui ont tant décrit de choses, n’ont dit que ce que chacun savoit déjà, n’ont su appercevoir à l’autre bout du monde que ce qu’il n’eût tenu qu’à eux de remarquer sans sortir de leur rue, & que ces traits vrais qui distinguent les nations, & qui frappent les yeux faits pour voir, ont presque toujours échappé aux leurs. De-là est venu ce bel adage de morale, si rebattu parla tourbe philosophes, que les hommes sont par-tout les mêmes, qu’ayant par-tout les mêmes passions & les mêmes vices, il est assez