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faisoit de lui-même, les vengeances devinrent terribles & les hommes sanguinaires & cruels. Voilà précisément le degré où étoient parvenus la plupart des peuples sauvages qui nous sont connus ; & c’est faute d’avoir suffisamment distingué les idées, & remarqué combien ces peuples étoient déjà loin du premier état de nature, que plusieurs se sont hâtés de conclure que l’homme est naturellement cruel, & qu’il a besoin de police pour l’adoucir, tandis que rien n’est si doux que lui dans son état primitif, lorsque, placé par la nature à des distances égales de la stupidité des brutes & des lumieres funestes de l’homme civil, & borné également par l’instinct & par la raison à se garantir du mal qui le menace, il est retenu par la pitié naturelle de faire lui-même du mal à personne, sans y être porté par rien, même après en avoir reçu. Car, selon l’axiome du sage Locke, il ne sauroit y avoir d’injure, où il n’y a point de propriété.

Mais il faut remarquer que la société commencée & les relations déjà établies entre les hommes, exigeoient en eux des qualités différentes de celles qu’ils tenoient de leur constitution primitive, que la moralité commençant à s’introduire dans les actions humaines, & chacun, avant les loix étant seul juge & vengeur des offenses qu’il avoit reçues, la bonté convenable au pur état de nature n’étoit plus celle qui convenoit à la société naissante ; qu’il faloit que les punitions devinssent plus séveres à mesure que les occasions d’offenser devenoient plus fréquentes, & que c’étoit à la terreur des vengeances de tenir lieu du frein des loix. Ainsi quoique les hommes fussent devenus moins endurans, & que la pitié