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de vue cette lente succession d’événemens & de connoissances dans leur ordre le plus naturel.

Le premier sentiment de l’homme fut celui de son existence, son premier soin celui de sa conservation. Les productions de la terre lui fournissoient tous les secours nécessaires, l’instinct le porta à en faire usage. La faim, d’autres appétits lui faisant éprouver tour-à-tour diverses manieres d’exister, il y en eut une qui l’invita à perpétuer son espece ; & ce penchant aveugle, dépourvu de tout sentiment du cœur, ne produisoit qu’un acte purement animal. Le besoin satisfait, les deux sexes ne se reconnoissoient plus, & l’enfant même n’étoit plus rien à la mere si-tôt qu’il pouvoit se passer d’elle.

Telle fut la condition de l’homme naissant ; telle fut la vie d’un animal borné d’abord aux pures sensations, & profitant à peine des dons que lui offroit la nature, loin de songer à lui rien arracher ; mais il se présenta bientôt des difficultés ; il falut apprendre à les vaincre : la hauteur des arbres qui l’empêchoit d’atteindre à leurs fruits, la concurrence des animaux qui cherchoient à s’en nourrir, la férocité de ceux qui en vouloient à sa propre vie, tout l’obligea de s’appliquer aux exercices du corps ; il falut se rendre agile, vite à la course, vigoureux au combat. Les armes naturelles, qui sont les branches d’arbres & les pierres, se trouverent bientôt sous sa main. Il apprit à surmonter les obstacles de la nature, à combattre au besoin les autres animaux, à disputer sa subsistance aux hommes mêmes, ou à se dédommager de ce qu’il faloit céder au plus fort.

À mesure que le genre-humain, s’étendit, les peines se multiplierent