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Préface

S’il est vrai que les circonstances et les préjugés décident souvent du sort d’un ouvrage, jamais auteur n’a dû plus craindre que moi. Le public est aujourd’hui si indisposé contre tout ce qui s’appelle nouveauté  ; si rebuté de systèmes et de projets, surtout en fait de musique, qu’il n’est plus guère possible de lui rien offrir en ce genre sans s’exposer à l’effet de ses premiers mouvements, c’est-à-dire, à se voir condamné sans être entendu.

D’ailleurs, il faudrait surmonter tant d’obstacles, réunis non par la raison, mais par l’habitude et les préjugés bien plus forts qu’elle, qu’il ne paraît pas possible de forcer de si puissantes barrières ; n’avoir que la raison pour soi, ce n’est pas combattre à armes égales, les préjugés sont presque toujours sûrs d’en triompher, et je ne connais que le seul intérêt capable de les vaincre à son tour.

Je serais rassuré par cette dernière considération, si le public était toujours bien attentif à juger de ses vrais intérêts : mais il est pour l’ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction à des gens qui en ont de tout opposés, et il aime mieux se plaindre éternellement d’être mal servi, que de se donner des soins pour l’être mieux.

C’est précisément ce qui arrive dans la musique  ; on se récrie sur la longueur des maîtres et sur la difficulté de l’art. et l’on rebute ceux qui proposent de l’éclaircir et de l’abréger. Tout le monde convient que les caractères de la musique sont dans un état d’imperfection peu proportionné aux progrès qu’on a faits dans les autres parties de cet art : cependant on se défend contre toute proposition de les refermer comme contre un danger affreux : imaginer d’autres signes que ceux dont s’est servi le divin Lully, est non seulement la plus haute extravagance dont l’esprit humain soit capable, mais c’est encore une espèce de sacrilège. Lully est un Dieu dont le doigt est venu fixer à jamais l’état de ces sacrés caractères :