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un même lieu. Elles sont aussi le seul moyen de maintenir le pays indépendant des villes, qu’il est plus aisé de tenir sous le joug. Ils se sont encore appliqués à détruire la noblesse, à la priver de ses dignités, de ses titres, à éteindre les grands fiefs. Il est heureux pour vous qu’ils se soient chargés de ce qu’il y avait d’odieux dans cette entreprise, que vous n’auriez peut-être pu faire s’ils ne l’avaient faite avant vous. N’hésitez point d’achever leur ouvrage ; en croyant travailler pour eux, ils travaillaient pour vous. La fin seule est bien différente, car celle des Génois était dans la chose même, et la vôtre est dans son effet. Ils ne voulaient qu’avilir la noblesse, et vous voulez ennoblir la nation. Ceci est un point sur lequel je vois que les Corses n’ont pas encore des idées saines. Dans tous leurs mémoires justificatifs, dans leur protestation d’Aix-la-Chapelle, ils se sont plaints que Gênes avait déprimé ou plutôt détruit leur noblesse. C’était un grief, sans doute, mais ce n’était pas un malheur ; c’est au contraire un avantage sans lequel il leur serait impossible de rester libres.

C’est prendre l’ombre pour le corps, de mettre la dignité d’un État dans les titres de quelques-uns de ses membres. Quand le royaume de Corse appartenait à Gênes, il pouvait lui être utile d’avoir des marquis, des comtes, des nobles titrés qui servissent, pour ainsi dire, de médiateurs au peuple corse auprès de la république ; mais contre qui lui seraient maintenant utiles de pareils protecteurs, moins propres à le garantir de la tyrannie qu’à l’usurper eux-mêmes ; qui le désoleraient par leurs vexations et par leurs débats, jusqu’à ce qu’un d’eux, ayant asservi les autres, fît ses sujets de tous ses concitoyens.

Distinguons deux sortes de noblesse : la noblesse féodale,