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POUR LA CORSE.
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maximes tirées de votre propre expérience sont les meilleures sur lesquelles vous puissiez vous gouverner.

Il s’agit moins de devenir autres que vous n’êtes, que de savoir vous conserver tels. Les Corses ont beaucoup gagné depuis qu’ils sont libres ; ils ont joint la prudence au courage, ils ont appris a obéir à leurs égaux, ils ont acquis des vertus et des mœurs, et ils n’avaient point de lois ; s’ils pouvaient rester ainsi, je ne verrais presque rien à faire. Mais, quand le péril qui les a réunis s’éloignera, les factions qu’il écarte renaîtront parmi eux, et, au lieu de réunir leurs forces pour le maintien de leur indépendance, ils les useront les unes contre les autres, et n’en auront plus pour se défendre si on vient encore les attaquer. Voilà déjà ce qu’il faut prévenir. Les divisions des Corses ont été de tout temps un artifice de leurs maîtres pour les rendre faibles et dépendants ; mais cet artifice, employé sans cesse, a produit enfin l’inclination et les a rendus naturellement inquiets, remuants, difficiles a gouverner, même par leurs propres chefs. Il faut de bonnes lois, il faut une institution nouvelle pour rétablir la concorde, dont la tyrannie a détruit jusqu’au désir. La Corse, assujettie à des maîtres étrangers dont jamais elle n’a porté patiemment le dur joug, fut toujours agitée. Il faut maintenant que son peuple fasse une étude nouvelle, et qu’il cherche la paix dans la liberté.

Voici donc les principes qui, selon moi, doivent servir de base à leur législation : tirer parti de leur peuple et de leur pays ; ainsi, autant qu’il sera possible, cultiver et rassembler leurs propres forces, ne s’appuyer que sur elles, et ne songer pas plus aux puissances étrangères que s’il n’en existait aucune.