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vous. Mais ne me demandez rien de plus. Comme je ne veux pas vous tromper, je me reprocherais d’acheter votre protection au prix d’une vaine attente.

Dans cette idée qui m’est venue, j’ai plus consulté mon cœur que mes forces ; car dans l’état où je suis, il est peu apparent que je soutienne un si long voyage, d’ailleurs très-embarrassant, surtout avec ma gouvernante et mon petit bagage. Cependant, pour peu que vous m’encouragiez, je le tenterai ; cela est certain, dussé-je rester et périr en route ; mais il me faut au moins une assurance morale d’être en repos pour le reste de ma vie, car c’en est fait, monsieur, je ne peux plus courir.

Malgré mon état critique et précaire, j’attendrai dans ce pays votre réponse avant de prendre aucun parti, mais je vous prie de différer le moins possible, car, malgré toute ma patience, je puis n’être pas le maître des événements. Je vous embrasse et vous salue, monsieur, de tout mon cœur.

P. S. — J’oubliais de vous dire, quant à vos prêtres, qu’ils seront bien difficiles s’ils ne sont contents de moi. Je ne dispute jamais sur rien. Je ne parle jamais de religion. J’aime naturellement même autant votre clergé que je hais le nôtre. J’ai beaucoup d’amis parmi le clergé de France, et j’ai toujours très-bien vécu avec eux. Mais, quoi qu’il arrive, je ne veux point changer de religion, et je souhaite qu’on ne m’en parle jamais, d’autant plus que cela serait inutile. Pour ne pas perdre de temps, en cas d’affirmation il faudrait m’indiquer quelqu’un à Livourne à qui je pusse demander des instructions pour le passage.