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beaucoup d’instructions, d’éclaircissements, de mémoires ; et de la mienne beaucoup d’étude et de réflexions.

Par rapport à moi, il me manque plus de jeunesse, un esprit plus tranquille, un cœur moins épuisé d’ennuis, une certaine vigueur de génie qui, même quand on l’a, n’est pas à l’épreuve des années et des chagrins ; il me manque la santé, le temps ; il me manque, accablé d’une maladie incurable et cruelle, l’espoir de voir la fin d’un long travail, que la seule attente du succès peut donner le courage de suivre ; il me manque enfin l’expérience dans les affaires, qui seule éclaire plus sur l’art de conduire les hommes que toutes les méditations.

Si je me portais passablement, je me dirais : « J’irai en Corse ; six mois passés sur les lieux m’instruiraient plus que cent volumes. » Mais comment entreprendre un voyage aussi pénible, aussi long, dans l’état où je suis ? Le soutiendrais-je ? me laisserait-on passer ? — Mille obstacles m’arrêteraient en allant ; l’air de la mer achèverait de me détruire avant le retour ; je vous avoue que je désire mourir parmi les miens.

Vous pouvez être pressé ; un travail de cette importance ne peut être qu’une affaire de très-longue haleine, même pour un homme qui se porterait bien. Avant de soumettre mon ouvrage à l’examen de la nation et de ses chefs, je veux commencer par en être content moi-même : je ne veux rien donner par morceaux. L’ouvrage doit être un : l’on n’en saurait juger séparément. Ce n’est déjà pas peu de chose que de me mettre en état de commencer. Pour achever, cela va loin.

Il se présente aussi des réflexions sur l’état précaire où se trouve votre île. Je sais que sous un chef tel qu’ils l’ont