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dresser les malheureuses victimes de la haine, de l’indépendance et de l’impunité ? Ne peut-on pas repousser la violence par la force ? Il est vrai que dans des circonstances aussi critiques la nation rentre dans les droits que vous établissez si bien par le Contrat social ; elle doit pourvoir à l’effusion du sang humain, à la conservation des particuliers ; mais, dans des convulsions aussi affreuses, il n’est pas aisé d’abord de faire entendre raison à cette multitude effrénée, accoutumée à l’insolence et à l’insubordination. Il faut donc du temps pour lui dessiller les yeux ; il en faut pour l’amener, par la raison, à connaître l’artifice des monstres qui ne les gouvernaient que pour le seul plaisir de les faire détruire les uns par les autres. Cet ouvrage n’a pas pu être l’ouvrage d’un moment, parce que, tout étant dans la barbarie, il était bien difficile de trouver de ces hommes supérieurs qui pussent acquérir sur la multitude cet empire si nécessaire pour persuader. Le temps et la patience ont enfin réuni les Corses ; ils sont sortis de leur abrutissement, ils ont vu leur chaînes, en ont senti le poids et les ont brisées. Rendus à la liberté, ils voudraient des liens faits pour des hommes, ils voudraient que leur postérité pût jouir du fruit de leurs travaux. Vous trouverez, j’ose le dire, quelques vertus et des mœurs chez les Corses : ils sont humains, religieux, hospitaliers, bienfaisants ; ils tiennent leur parole ; ils ont de l’honneur, de la bonne foi, et, si on en excepte les cas de vengeance particulière, qui sont à présent très-rares, les exemples d’assassinats y sont moins fréquents que chez les autres peuples. Les femmes y sont vertueuses, uniquement occupées de la conduite de leur maison et de l’éducation de leurs enfants. On ne les voit point rechercher les as-