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LETTRES INÉDITES. 459

nulle autre raison n’ajouterait du prix à sa protection et à ses bienfaits. Du reste, l’impossibilité de rester ici est telle que rien ne pourrait la vaincre, et qu’ii ne s’agit que du moment d’en sortir. C’est de quoi nous causerons plus à notre aise, si vous persistez à vouloir venir di- manche prochain, à quoi je consens de tout mon cœur si nulle des affaires dont vous êtes chargé n’en souffre, et que ce voyage vous fasse plaisir.

Savez- vous à quoi ont abouti les secrètes allées et venues depuis le voyage de ces messieurs ? À répandre comme un torrent la nouvelle certaine qu’à la vérité je ne suis pas intrus ici, à l’insu de Son Altesse ; mais qu’au contraire j’y suis un espion placé de sa main, pour tracasser tout le monde, et que si l’on ne vient promptement à bout de m’en chasser de manière ou d’autre, chacun peut se tenir pour perdu. Vous ne sauriez imaginer l’effroi mêlé d’exécration que ma présence inspire à ces pauvres dupes. Cependant on complote je ne sais pas quoi, et soyez sûr qu’il n’y a per- sonne ici qui ne contribue à me faire un mauvais parti si l’occasion s’en présente. Ce n’est pas qu’on méprise ici l’espionnage, mais on le redoute terriblemenL La pre- mière nouvelle de cette folie, au lieu de m’indigner, m’a fait éclater de rire ; mais je finirais assurément par ne pas avoir les rieurs pour moi, et je vous promets que jamais dans le monde espion ne fut de si près espionné. Vous pouvez juger de la vie que je mène ici, moi qui n’ai pu m’aguerrir à la malveillance de personne. Vous jugerez de mon état quand vous viendrez, et vous verrez s’il est possible qu’il dure. Je ne puis pourtant m’empêcher moi- même de le trouver comique : convenez du moins qu’il n’était guère dans l’ordre des choses prévoyables, et qu’à