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LETTRES INÉDITES. 457

royaume ? Ferais-je mieux d’en sortir ? On m’a laissé entrer paisiblement ; je puis du moins espérer qu’on me laissera sortir de même. Mais comment ? Par où ? Je ne demande qu’à obéir ; qu’on me dise seulement ce que je dois feire, car, durant ma malheureuse existence, je ne puis pas m’empècher d’être quelque part, mais rester ici ne m’est pas possible, et je suis biendétermijié, quoiqu’il arrive, à ne plus essayer de la maison d’autrui. Une circonstance cruelle est l’entrée de l’hiver pour aller au loin, dans mon état, chercher un gite. Mon jeune ami, plaignez-moi, plaignez cette pauvre tête grisonnante qui, ne sachant où se poser, va nageant dans les espaces, et sent pour son malheur que les bruits qu’on a répandus d’elle ne sont encore vrais qu’à demi.

J’ai cent choses à vous dire et je ne me souviens de rien. Je me souviens seulement que j’oublie tout. Nos gens sont revenus, et tout va son train comme auparavant. Il y a de continuelles allées et venues souterraines, dont l’efTet ne parait que dans la contenance des habitants ; mais cet effet n’est pas équivoque, et l’on peut juger par lui de ce qui se traite dans les conseils caverneux de ces taupes.

Au reste, tout le pays est aux genoux de M. le concierge, surtout depuis son voyage. Persuadé qu’il a toute la confiance de Son Altesse, chacun s’empresse à se mettre ici sous sa protection, et à la mériter en me faisant quelque nouvelle avanie, ce qui réussit admirablement. Je ne puis concevoir par quelles mains est poussé cet homme, mais il a été très-bien choisi. Il va très-habilement son train sans se compromettre. C’est dommage qu’il ne soit pas appelé à jouer sur un grand théâtre : il a tous les ta-