Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vos talents, de votre bienfaisance, de votre vertu, de votre zèle pour l’avantage des hommes, surtout pour ceux qui ont été le jouet de la tyrannie la plus affreuse.

Les hommes de génie, ceux qui sont vertueux, ceux qui vous ressemblent, ne dédaignent pas, monsieur, de consacrer quelques veilles à la félicité d’une nation : plus elle est malheureuse, plus elle a droit d’espérer un tel sacrifice. La Corse n’est que trop connue par la cruelle situation où l’a réduite la coupable administration de la république de Gènes : elle a Forcé les peuples à secouer le joug insupportable qui s’appesantissait de plus en plus. L’abus du pouvoir, pouvoir limité par des conventions, a produit cette révolution salutaire et opéré notre délivrance.

Nos progrès ont été très-lents, mais nos moyens étaient et sont encore si médiocres, qu’il est bien étonnant que nous soyons parvenus à ne la plus redouter ; mais l’amour de la liberté rend les hommes capables des choses les plus extraordinaires. Ne serait-il pas cruel de ne pouvoir tirer le plus grand avantage de l’heureuse circonstance où se trouve la Corse, de choisir le gouvernement le plus conforme à l’humanité, à la raison ; le gouvernement le plus propre à fixer dans cette lie le séjour de la liberté ?

Une nation ne doit se flatter de devenir heureuse et florissante que par le moyen d’une bonne institution politique. Notre île, comme vous le dites très-bien, monsieur, est capable de recevoir une bonne législation ; mais il lui faut un législateur ; il lui faut un homme dans vos principes, un homme dont le bonheur soit indépendant de nous, un homme qui, connaissant à fond la nature humaine, et qui, dans les progrès des temps, se ménageant une gloire éloignée, voulût travailler dans un siècle et jouir dans un