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LETTRES inédites ; 455

même zèle qui vous pousse en avant nous expose à nous croiser dans nos démarches, faute, dé votre part, de pou- voir être mieux instruit du véritable état des choses, et, de la mienne, de pouvoir prendre patience et souffrir plus longtemps les choses du monde les plus insouiTrables.

J’ai écrit à S«3n Altesse et Fai priée de me permettre de dis- poser de moi. Je neTai fait qu’après la conviction parfaite qu’il est impossible, malgré ses bontés et sa puissance, que je vive jamais, ni heureusement, ni paisiblement, ni libre- ment, ni avec honneur. Je ne puis pas tout dire, ni à Son Al- tesse, nia personne. Maisquandvous viendrez, vous en ver- rezassez pour sentir que j’ai raison. Au reste, jevous préviens que, quoi qu’il arrive, je n’acquiescerai jamais à demeurer en Normandie ; ce qui se passe ici m’a fait prendre en dé- dain, pour le reste de ma vie, la Normandie et les Nor- mands, et même leur voisinage. Jamais je n’habiterai vo- lontairement parmi ces gens-là. J’honore et j’estime trop la nature pour craindre ni Paris, ni Versailles. Mes terreurs viennent de plus loin el n’en sont que plus effrayantes. Je crains beaucoup moins les persécuteurs que les traîtres.

Je suis toujours d’avis que vous fassiez votre voyage au temps fixé ; mais, malgré votre obstination, j’oserai m’ob- stiner aussi à vous conjurer de jpartir le matin plutôt que le soir. Comptant arriver à huit ou neuf heures, vous n’ar- riverez qu’a dix ou onze. Vous vous ferez attendre et vous nous tiendrez sur pied toute la nuit. Mais ce n’est pas cette raison-là qui me fait insister ; c’est qu’il y a actuellement ici une bande de voleurs cachés dans les bois, et qui tuent tout le monde. On est tellement en alarmes qu’on ne veut pas que je sorte, et que M. Manoury a pris même la peine de venir avec un fusil et un garde au-devant de moi rêve-