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Corse que les économistes firent l’essai d’impositions en nature. Dans les vingt années qui s’écoulèrent de 1769, époque de la soumission de l’île, à 1789, la Corse gagna beaucoup ; mais tant de bienfaits ne touchèrent pas le cœur des habitants : un lieutenant général d’infanterie, traversant les montagnes, discourait avec un berger sur l’ingratitude de ses compatriotes ; il lui faisait l’énumération des bienfaits de l’administration française. « Du temps de votre Paoli, vous payiez le double ? — Cela est vrai, monseigneur ; mais nous donnions alors ; vous prenez aujourd’hui. »

Rousseau ne vit pas cet événement sous les mêmes couleurs ; il n’envisagea point la position de la Corse dans ses relations avec les puissances qui avaient intérêt à ce qu’elle fût asservie, dans ses rapports avec la politique et dans la place qu’elle devait ou pouvait occuper ; il ne considéra que le droit qu’avait un peuple affranchi de conserver sa liberté, de se donner des lois, des institutions et de vivre indépendant. Aussi s’exprime-t-il, d’après ces idées, avec amertume sur la réunion de cette île à la France.

« L’expédition de la Corse, dit-il, inique et ridicule, chaque toute justice, toute humanité, toute politique et toute raison. Son succès la rend encore plus ignominieuse en ce que n’ayant pu conquérir ce peuple infortuné par le fer, il l’a fallu conquérir par l’or. La France peut bien dire de cette inutile et coûteuse conquête ce que disait Pyrrhus de ses victoires : « Encore une, et nous sommes perdus ! » Mais, hélas ! l’Europe n’offrira plus à M. de Choiseul d’autre peuple naissant à détruire, ni d’aussi grand homme à noircir, que son illustre et vertueux chef….. Je le défie de pallier jamais cette expédition d’aucune rai-