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testé de son désintéressement, se présentait aujourd’hui comme partie, et feignait de croire que le gouvernement de Gênes pouvait vendre les Corses comme un troupeau de bœufs et contre la teneur des pacta conventa.

« Le traité par lequel Gênes cédait la Corse au roi excita en France un sentiment de réprobation générale. Lorsque l’on reconnut qu’il faudrait faire la guerre, et mettre en mouvement une partie de la puissance française contre ce petit peuple, l’injustice et l’ingénérosité de cette guerre émurent tous les esprits ; le sang qui allait couler retombait tout entier sur Choiseul. « Car enfin, disait-on, de quelle nécessité est pour nous la Corse ? d’aucune. Est-ce d’aujourd’hui qu’elle existe ? et pourquoi est-ce d’aujourd’hui seulement qu’on y pense ? Nous n’avons qu’un intérêt, c’est que l’Angleterre ne s’y établisse pas : le reste nous est indifférent[1]. »

« Ces vains raisonnements n’arrêtèrent pas la marche du cabinet. Le lieutenant général Chauvelin débarqua à Bastia : il eut sous ses ordres douze mille hommes, il publia des proclamations, intima des ordres aux communes, et commença les hostilités ; mais ses troupes, battues au combat de Borgo, repoussées dans toutes leurs attaques, furent obligées, a la fin de la campagne de 1768, de se renfermer dans les places fortes, ne communiquant plus entre elles que par le secours de quelques frégates croisières.

  1. Cette restriction est peut-être ce qui justifie B. de Choiseul ; en supposant que le seul moyen d’empêcher l’Angleterre de s’établir en Corse, soit la possession de cette île par la France, aucune autre puissance n’était en état de la garantir de l’invasion des Anglais. Les Corses pourraient se flatter de leur résister seuls ? Telle est la question : en admettant une solution favorable, il se présente une autre difficulté : C’est l’alliance des Corses et des Anglais contre la France.