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PENSÉES DÉTACHÉES

point, comme de voir souffrir un malade ou maltraiter un homme injustement ?

Pourquoi l’émotion causée par la pitié donne-t-elle du plaisir en certain cas, et dans d’autres n’en donne point ?

L’âme s’identifie difficilement à des hommes méprisables auxquels on serait fâché de ressembler, et quelques maux qu’ils souffrent, la pitié qu’ils inspirent n’est jamais fort vive ; mais on aime à se mettre à la place d’un héros malheureux qui triomphe par son courage d’un barbare persécuteur, et déploie à nos regards une vertu qu’on s’approprie d’autant plus volontiers que la pratique n’en coûte rien. Si la tragédie d’Atrée donne moins de pitié que d’horreur, c*est que Thyeste est un homme faible, qu’on sait même avoir été coupable, et auquel les spectateurs peu touchés ne prennent qu’un intérêt médiocre. Mais on n’envisage point sans de vives alarmes les dangers du vertueux *** parce que l’orgueil nous porte à nous identifier volontiers avec cette grande âme à laquelle nous nous efforçons d’élever la nôtre.


Je me plains surtout du mépris que M. de Voltaire affecte en toute occasion pour les pauvres, dans des écrits qui n’inspirent d’ailleurs que le bien de l’humanité ; Ce n’est pas que cet auteur ait tort dans tout ce dont il accuse cette déplorable partie du genre humain, mais peut-il croire que la trop grande facilité des gens aisés ait besoin d’être modérée et que la société en ira mieux quand les hommes seront encore plus durs. Par exemple, je conviens que les pauvres s’acharnent autour des riches et accourent de toutes parts dans les grandes villes pour importuner