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À cette époque beaucoup d’étrangers visitaient Motiers-Travers, pour y visiter l’auteur d’Emile doublement célèbre, et par la supériorité de ses talents, et par la proscription qu’ils lui avaient attirée. Il y venait des gens de divers pays et de différentes professions. Les uns se déguisaient, les autres changeaient de nom. Il n’était sorte de moyens ou de prétextes qu’on ne mit en usage. « Il lui tombait des bandes, non plus par deux ou trois comme dans les commencements, mais par sept ou huit à la fois. » On y vit le duc de Randans avec deux carrossées d’officiers du régiment du roi, qui était alors cantonné dans les environs de Ferney.

Il est probable que le chevalier de Malte, s’il n’eut pas de mission de Paoli, se servit du nom de ce général pour être mieux reçu. La présence de milord Maréchal, gouverneur de Neuchâtel, et qui demeurait au château de Colombiers, à six lieues de Motiers, attirait des Anglais. La curiosité y conduisait les uns, et les autres y venaient payer le tribut de leur estime et de leur admiration au guerrier philosophe qui avait sacrifié à son roi sa fortune et sa vie. Parmi ces visiteurs était un jeune Écossais que milord prit en amitié, et que dès lors Rousseau, par sa vénération pour lord Keit, dut voir avec intérêt. Cet Écossais était riche et voyageait pour son plaisir et son instruction. Comme il devait parcourir l’Italie, Jéan-Jacques lui inspira le désir d’aller en Corse, d’y étudier le pays et les habitants et d’y faire un ample recueil d’observations. Pendant l’absence de cet Anglais, la situation de Rousseau changea : il sortit du val de Travers et se rendit à Paris. De son côté, l’Écossais revenait de l’île de Corsé, et son premier soin fut d’écrire à Jean-Jacques. Sa lettre s’est trou-