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Cependant la dispute s’échauffa dans le public, mes adversaires se multiplièrent, je fus accablé de réfutations sans être jamais réfuté, parce que la vérité ne se réfute point.

On a peine à croire l’étourderie avec laquelle une foule d’auteurs prenaient la plume à l’envi et retournaient en mille manières trois ou quatre lieux communs de collège. On ne vit jamais ni raisonnement ni réflexion dans leurs écrits ; en croyant s’unir contre moi, ils ne faisaient que s’entre-détruire ; les preuves de l’un m’auraient servi de réplique à l’autre, et il m’eût suffi de les opposer pour les battre[1]. Un seul mérite d’être excepté. Il savait penser et écrivait bien, il prit parti dans la querelle ; il publia, non contre moi, comme les autres, mais contre mon sentiment, deux discours pleins d’esprit et de vues et très-agréables à lire, mais il est certain qu’il ne fit en cela qu’enter son génie sur ses préjugés et donner un beau coloris aux erreurs vulgaires.

Je répondis avec toute la chaleur que donne l’amour de la vérité, ou, si l’on veut, le zèle de nos opinions vis-à-vis des gens de mauvaise foi que leur intérêt fait parler contre leurs lumières.

J’admirais comment on pouvait écrire avec si peu de ménagement et nulle réflexion sur des matières que j’avais méditées presque toute ma vie sans avoir pu les éclaircir suffisamment, et j’étais surpris de ne pas trouver, dans les

  1. Ces gens oisifs dont Paris abonde, qui par désœuvrement se font les arbitres du beau bien qu’ils n’ont jamais senti, passent leur vie à s’occuper de musique sans l’aimer, de peinture sans s’y connaître, et prennent pour le goût des arts la vanité d’être encensé des flatteurs et de briller aux yeux des sots. (Note de l’Auteur.)