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dans toutes les erreurs qui les aveuglent et dans toutes les misères qui les accablent.

Ayant tant d’intérêts à combattre, tant de préjugés à vaincre et tant de choses dures à annoncer, j’ai cru devoir, pour l’intérêt même de mes lecteurs, ménager en quelque sorte leur pusillanimité et ne leur laisser apercevoir que successivement ce que j’avais à leur dire. Si le seul discours de Dijon a tant excité de murmures et tant causé de scandale, qu’eût-ce été si j’avais développé du premier instant toute l’étendue d’un système vrai mais affligeant, dont la question traitée dans ce discours n’est qu’un corollaire ? Ennemi déclaré de la violence des méchants, j’aurais passé tout au moins pour celui de la tranquillité publique, et si les zélés du parti contraire n’eussent point travaillé charitablement à me perdre pour la grande gloire de la philosophie, on ne peut douter au moins, qu’ayant en tête un homme inconnu, ils n’eussent aisément réussi à tourner en ridicule l’ouvrage et l’auteur, et qu’en commençant par se moquer de mon système, ce moyen mis en crédit par tant d’expériences ne les eût dispensés de l’incommode soin d’examiner mes preuves.

Quelques précautions m’ont donc été d’abord nécessaires, et c’est pour pouvoir tout faire entendre que je n’ai pas voulu tout dire. Ce n’est que successivement, et toujours pour peu de lecteurs, que j’ai développé mes idées. Ce n’est point moi que j’ai ménagé, mais la vérité, afin de la faire passer plus sûrement et de la rendre utile. — Souvent je me suis donné beaucoup de peine pour tâcher de renfermer dans une phrase, dans une ligne, dans un mot jeté comme au hasard, le résultat d’une longue suite de réflexions. Souvent la plupart de mes lecteurs auront