Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/293

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE CLAIRE ET DE MARCELLIW. 267

sont, le premier et le plus puissant de tous les charmes. Quant à ceux qui ont ce sens intérieur moins exquis et qui ne s’affectent, pour ainsi dire, que par règle et méthode, Claire n’eût été pour eux qu’une personne ordinaire qu’on est étonné d’oublier dilTicilement, quoiqu’on ne voie point de raison de s’en souvenir. Un bon observateur aurait dit en la voyant : « Il est très-possible qu’elle n’excite jamais de passion, mais il est sûr qu’elle n’en excitera jamais de médiocre. x>

Pour Marcellin, tranquille à l’extérieur et d’un tempé- rament froid en apparence, on l’aurait cru peu fait pour sentir tout le mérite de Claire. Cependant il avait les pas- sions très-vives et en était d’autant plus tourmenté que, sous un air serein, la tempête était concentrée au fond de son cœur. L’indolence et le sans-froid qu’on croyait remar- quer en lui était souvent l’ouvrage de sa sensibilité même. — Plusieurs objets l’affectaient peu, parce qu’ils agissaient sur une âme fortement préoccupée. — D’autres l’affec- taient si vivement qu’il avait honte de tant d’émotion et employait toute sa force à la surmonter ou au moins à la , déguiser. La sorte d’éducation rude et grossière qu’il avait reçue de son père n’avait pas peu contribué à lui faire prendre cette habitude forcée de modération que des leçons plus douces ne lui auraient peut-être jamais donnée.

Voilà, dira-t-on peut-être, bien de la finesse pour des paysans. Je réponds que ce ne sont point leurs habits que j’ai entrepris de peindre. Je peux répondre encore qu’il y a des âmes dont la place n’est dans aucun rang, parce qu’elles sont supérieures à tous, et telles étaient celles de Claire et de Marcellin. Les princes, les paysans pensent et