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248 FRAGMENTS

quérir y croît toujours en raison des besoins, et que c’est le superflu même des riches qui les met en état de dépouiller le pauvre de son nécessaire.

C est un axiome dans les affaires ainsi qu’en physique, qu’on ne fait rien avec rien.

L’argent est la véritable semence de l’argent, et le pre- mier écu est infiniment plus difficile à gagner que le second million.

D’ailleurs, les friponneries ne sont jamais permises que quand la nécessité les rend pardonnables. Elles coûtent l’honneur et la vie à l’indigent, et sont la gloire et la for- tune du riche. Un misérable qui, pour avoir du pain, prend un écu à un homme dur qui regorge d’or, est un coquin qu’on mène au gibet, tandis que des citoyens honorés s’abreuvent paisiblement du sang de l’artisan et du labou- reur, tandis que les monopoles du commerçant et les con- cussions du publicain portent le nom de talents utiles, et assurent à ceux qui les exercent la faveur du prince et la considéi*ation du public. Cest ainsi que les richesses de toute une nation font l’opulence de quelques particuliers au préjudice du public, et que les trésors des millionnaires augmentent la misère des citoyens. Car, dans cette inéga- lité monstrueuse et forcée, il arrive nécessairement que la sensualité des riches dévore en délices la subsistance du peuple, et ne lui vend qu’à peine un pain sec et noir, au poids de la sueur et au prix de la servitude.

Que si l’on joint à ceci l’augmentation infaillible du prix de toutes choses, par l’abondance de l’espèce et surtout la variété des denrées qui doit résulter nécessairement d’une pareille situation, comme je le prouverai dans la suite, on sentira combien il est aisé de démontrer que plus un État