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DES INSTITUTIONS POLITIQUES. 245

doit appeler un paradoxe aussi inouï jusqu’à ce jour qu’il est ridicule est pernicieux, et qu’en réfutant cette philoso- phie molle et efféminée^ dont les commodes maximes lui ont acquis tant de sectateurs parmi nous, je ne fais que joindre ma voix aux cris de toutes les nations et plaider la cause du sens commun ainsi que celle de la société.

Pour raisonner solidement sur la question dont il s’agit, je voudrais premièrement poser quelques principes clairs et certains, que personne ne pût nier raisonnablement, et qui servissent de base à toutes mes recherches ; sans quoi, n’ayant au lieu de définition que des idées vagues, que chacun se forme à sa fantaisie et selon ses inclinations particulières, jamais nous ne saurons bien ce qu’on doit entendre à l’égard d’un peuple par ces mots de bonheur et de prospérité.

Avant que de parler des moyens de rendre un peuple heureux et florissant, tâchons donc de déterminer en quoi consiste précisément la gloire et la félicité d’un peuple, ou à quelles marques certaines on pourra reconnaître qu’un peuple se trouve dans cet état.

Je sens bien que cette question paraîtra fort peu embar- rassante à la plupart des politiques modernes, car l’un me dira sans hésiter que la nation la plus heureuse est celle où tous les arts sont le mieux cultivés ; un autre, celle où le commerce fleurit davantage ; un autre, celle où il y a le plus d’argent ; et le plus grand nombre sera pour celle qui réunit tous ces avantages à un plus haut degré. Examinons d’abord si ces définitions sont justes.

1* Quant au commerce et aux arts, il est de la dernière évidence, même dans le système que j’attaque, que ces choses sont plutôt les moyens que l’on emploie pour tra-