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DES INSTITUTIONS POLITIQUES. 241

La question que je me propose d’examiner ici regarde le luxe, le commerce et les arts, non précisément par rapport aux mœurs, comme je Tai envisagée ci-devant, mais sous un nouveau point de vue, et par rapport à la prospérité de rÉtat.

Tous les anciens ont regardé le luxe comme un signe de corruption dans les mœurs et de faiblesse dans le gouver- nement. Les lois somptuaires sont presque aussi anciennes que les sociétés politiques. Il y en avait chez les Égyptiens ; les Hébreux en reçurent de leur législateur ; on en trouve même chez les Perses, et quant aux Grecs, leur profond mépris pour le faste asiatique était la meilleure loi somp- tuaire qu’ils pussent avoir.

Ce mépris était encore plus sensible chez les Romains. Le luxe et la magnificence des autres nations étaient pour eux de vrais objets de risée, et Tusage qu’ils en faisaient dans leurs triomphes était beaucoup plus propre à tourner en ridicule toute cette vaine pompe des peuples vaincus qu’à donner aux vainqueurs le désir de l’imiter. Il était naturel que le commerce se sentit du mépris qu’on avait pour le luxe. Les Romains le dédaignaient, les Grecs le laissaient faire chez eux par des étrangers ; les arts méca- niques n’étaient presque exercés que par des esclaves, et les arts libéraux mêmes exigeaient une grande supériorité de talent dans ceux qui les exerçaient pour leur donner quelque considération ; encore n’en purent-ils jamais obte- nir à Rome durant tout le temps de la république. En un mot, dans des pays où l’argent était méprisé, il ne se pou- vait guère que tous les moyens d’en gagner n’eussent quel- que chose d’ignominieux. Quand ces peuples commen- cèrent à dégénérer, que la vanité et l’amour du plaisir