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les donner s’ils sentaient qu’un seul mauvais raisonnement leur ôte plus de réputation que cent vérités découvertes ne leur en peuvent acquérir. Le meilleur usage que l'on puisse faire de la philosophie, c’est de remployer à détruire les maux qu’elle a causés, dût-on en même temps détruire le bien, s’il y en a. Car, dans ce qui est ajouté aux simples lumières de la raison et aux purs sentiments de la nature, il vaut encore mieux ôter le bon que de laisser le mauvais. Il faudrait, pour l’avantage de la société, que les philosophes distribuassent leurs travaux de telle sorte qu’après bien dos livres et des disputes, ils se trouvassent réfutés réciproquement, et que le tout fût comme non avenu. 11 est vrai qu’alors nous ne saurions rien, mais nous en conviendrions de bonne foi, et nous aurions réellement gagné, pour la recherche de la vérité, tout le chemin qu’il faut faire en rétrogradant de Terreur jusqu’à l’ignorance.

Pour concourir à ce but salutaire, je vais lâcher d’examiner quelques questions de politique et de morale agitées et résolues par plusieurs écrivains modernes et relatives aux matières sur lesquelles j’ai été obligé de méditer. J’espère aussi, par ce moyen, développer certains théorèmes que la crainte des digressions m’a fait avancer sans preuves dans d’autres écrits. Mais comme, dans tout ceci, je me propose plutôt d’attaquer des erreurs que d’établir de nouvelles vérités, j’avoue de l)onne foi que, quand les ouvrages de mes adversaires ne subsisteront plus, les miens seront parfaitement inutiles. Sans vouloir être le guide de mes contemporains, je me contente de les avertir quand j’en observe un qui les égare, et je n’aurais pas besoin de les fatiguer de mes avis si personne ne se mêlait de les conduire.