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234 FRAGMENTS

culîer pour exprimer en termes décents les \ices qui leur sont propres ; on ne dira pas dun ministre qu’il vexe le peuple, mais qu’il trouve des expédients ; ni d’un financier qu’il vole le prince, mais qu’il fait une bonne affaire ; un filou dira qu’il a gagné une bourse, et une courtisane qu’elle s’est mise dans le monde ; l’honnêteté n’est plus que dans les mots, et plus il y a de cœrruption dans les âmes, plus on affecte de choix et de pureté dans les discours. Un ministre qui invente des expédients, un financier qui fait une bonne affaire, un filou qui gagne une bourse, font tous à peu près la même chose, mais chacun d’eux tâche d’en adoucir l’idée par des termes de métier. Qu’un impu- dent me déclare sans détour qu’il vient de faire une in- digne friponnerie, je trouverai dans son discours un peu plus d’arrogance peut-être, mais à coup sûr beaucoup moins de lâcheté.

Soit qu’un penchant naturel ait porté les hommes à s’unir en société, soit qu’ils y aient été forcés par leurs be- soins mutuels, il est certain que c’est de ce commerce que sont nés leurs vertus et leurs vices, et, en quelque ma- nière, leur être moral. Là où il n’y a point de société, il ne peut y avoir ni justice, ni clémence, ni humanité, ni géné- rosité, ni modestie, ni surtout le mérite de toutes les ver- tus. Je veux dire qu’il en coûte à les pratiquer parmi des êtres remplis de tous les vices contraires, à parler morale- ment. La société est-elle donc en soi un bien ou un mal ? La réponse dépend de la comparaison du bon et du mau- vais qui en résultent, et la balance des vices et des vertus qu’elle a engendrés chez ceux qui la composent, et de ce