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S26 FRAGMENT

quence nécessaire, car si l’argent i*end les riches heureux, c’est moins par sa possession immédiate que parce qu1l les met à portée premièrement de pourvoir à leurs besoins et d’accomplir leurs volontés en toutes choses sans jamais dépendre de personne, puis de commander aux autres et de les tenir dans leur dépendance. Or voilà précisément les idées dont j*ai composé celle d’une nation heureuse et flo- rissante. Après avoir montré que ma définition renferme toutes les autres et qu’elle est par conséquent la plus géné- rale, il me reste à faire voir qu’elle est aussi la plus juste, et celle qui s’accorde le mieux avec les idées que nous avons du bonheur et de la prospérité.

Sij’avais tiré collectivement l’idée du bonheur derÉfat de celle du bonheur particulier de chaque citoyen qui le com- pose, j’aurais pu dire une chose plus sensible à beaucoup de lecteurs ; mais outre qu’on n’aurait jamais rien pu conduire de ces notions métaphysiques qui dépendent de la manière de penser et de l’humeur du caractère de chaque individu, j’aurais donné une définition très-peu juste. Un État pour- rait être fort bien constitué et d’une manière propre à le faire fleurir et prospérer à jamais, et que les citoyens n’en fussent guère contents. Quand Lycurgue établit ses lois, il eut à subir mille murmures des Lacédémoniens, il fut même contraint d’user de ruse et d’aller finir ses jours hors de sa patrie pour obliger ses concitoyens à conserver une institution qui les a rendus le peuple le plus illustre et le plus respecté qui ait existé sur la terre. Les Romains ne se sont-ils pas plaints sans cesse d’un gouvernement avec lequel ils sont devenus les maîtres du monde, et