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19^2 TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE

destination dans cette vie, c est apprendre à nous rendre heureux. Mais cette connaissance en suppose beaucoup d’autres. Nous n’engendrons pas nos propres idées, elles nous viennent du dehors. — Pour parvenir à nous connaî- tre nous-mêmes, il faut connaître beaucoup de choses qui ne sont pas nous. Un homme ne se connaît bien que quand il connaît bien les autres hommes ; et pour connaître les hommes, il faut connaître aussi les choses dont ils sont dépendants. Ainsi tout se tient : la sagesse mène au bonheur ; le savoir mène à la sagesse. Le meilleur es- prit naturel n’est rien sans l’instruction : avec les meil- leurs yeux, l’homme le plus clair-voyant n’y verrait rien, s’il n’eût appris à voir dès son enfance.

Pour apprendre à nous connaître, commençons donc par étudier ce qui nous entoure. Pour se connaître, il faut connaître l’homme ; pour connaître l’homme, il faut étu- dier les hommes, et pour étudier les hommes il faut le faire en divers temps, en divei*s lieux. Il faut commencer par les voir dans le grand tableau de l’histoire. C’est là qu’en les contemplant dans toutes les situations possibles, livrés à toutes les passions humaines, à toutes les vicissi- tudes des choses, exposés à tous les jeux de la fortune, tantôt fous et tantôt sages, tantôt bons et tantôt méchants ; dans celte prodigieuse variété de rapports et de différen- ces, nous apprendrons à démêler ce qui est essentiel à l’homme, ce qui en est inséparable, ce qu’on y retrouve toujours, d’avec ce qui ne lui est qu’accidentel et qui peut changer en lui selon les nations et selon les siècles.

Dans les contrastes de vertus et de crimes, de faiblesse cl de force, de grandeur et de petitesse, qui nous frappe- ront souvent, nous apprendrons à dégager l’homme de son