Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/210

Cette page n’a pas encore été corrigée

181 MORCEAU ALLÉGORIQUE

deste, grave et moins apprêté que celui même de son pré- décesseur, avait je ne sais quoi de sublime, où la simplicité s’alliait à la grandeur, et Ton ne pouvait l’envisager sans se sentir pénétré d’iine émotion vive et délicieuse qui n’a- vait sa source dans aucun sentiment connu des hommes. « mes enfants, dit-il d’un ton de tendresse qui pénétrait l’âme, je viens expier et guérir vos erreurs ; aimez Celui qui vous aime et connaissez Celui qui est! » A. l’instant, saisissant la statue, il la renversa sans effort, et montant sur le piédestal avec aussi peu d’agitation, il semblait prendre sa place plutôt qu’usurper celle d’autrui. Son air, son ton, son geste, causaient dans l’assemblée une ex- traordinaire fermentation ; le peuple en fut saisi jusqu’à l’enthousiasme, les ministres en furent irrités jusqu’à la fureur, mais à peine étaient-ils écoutés. — L’homme po- pulaire «t ferme, en prêchant une morale divine, entraînait tout : tout annonçait une révolution, il n’avait qu’à dire un mot et ses ennemis n’étaient plus. — Mais celui qui venait détruire la sanguinaire intolérance n’avait garde de l’imiter ; il n’employa que les voies qui convenaient aux choses qu’il avait à dire et aux fonctions dont il était chargé ; et le peuple, dont toutes les passions sont des fu- reurs, en devint moins zélé et négligea de le défendre en voyant qu’il ne voulait point attaquer. Après le témoignage de force et d’intrépidité qu’il venait de donner, il reprit son discours avec la même douceur qu’auparavant ; il pei- gnit l’amour des hommes et toutes les vertus avec des traits si touchants et des couleurs si aimables que, hors les officiers du temple, ennemis par état de toute humanité, nul ne l’écoutait sans être attendri et sans aimer mieux ses devoirs et le bonheur d’autrui. Son parler était simple et