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178 MORCEAU ALLÉGORIQUE

tudes diverses et emblématiques. L’une, un miroir à la main, était assise sur un paon dont elle imitait la conte- nance vaine et superbe. Une autre, d’un œil impudent et d’une main lascive, cherchait des objets pour satisfaire sa brutale sensualité. Une autre, squelette affreux qu’on n’eût su distinguer de la mort qu’à l’étincelante avidité de ses yeux, rebutait de vrais aliments pour avaler à longs traits des coupes d’or en fusion, qui l’altéraient sans la nourrir. Toutes enfin étaient distinguées par des attributs effroyables qui devaient en faire des objets d’horreur, mais qui, vus du point d’où elles paraissaient belles, sem- blaient être les ornements de leur beauté. Sur la clef de la voûte étaient écrits ces mots en gros caractères : Peuples, accourez-tous et servez les dieux de la terre. Direc- tement au-dessous, c’est-à-dire au centre du bâtiment et au point de perspective, était un grand autel heptagone sur lequel les hommes venaient en foule offrir leurs offrandes et leurs vœux aux sept statues qu’ils honoraient par mille différents rites et sous mijle bizarres noms. Cet autel servait de base à une huitième statue à laquelle tout l’édifice était consacré, et qui partageait les honneurs^ rendus à toutes les autres. Toujours environnée d’un voile impénétrable, elle était perpétuellement servie du peuple et n’en était jamais observée ; l’imagination de ses ado- rateurs la leur peignait d’après leurs caractères et leurs passions, et chacun, d’autant plus attaché à l’objet de son culte qu’il était plus imaginaire, ne plaçait sous ce voile mystérieux que l’idole de son cœur.

Parmi la foule qui affluait sans cesse en ce lieu, le philosophe distingua d’abord quelques hommes singuliè- rement vêtus et qui, au travers d’un air modeste et rc-