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iô^ LETTRES SUR LA VERTU

conduite passée, la blâmant souvent, quoique bonne en apparence, l’approuvant quelquefois, quoique condamnée des hommes, et ne me rappelant les événements de ma jeunesse que comme une mémoire locale des diverses affections qu’ils ont occasionnées en moi.

À mesure que j’avance vers le terme de ma carrière, je sens affaiblir tous les mouvements qui m’ont soumis si longtemps à l’empire dès passions. Après avoir épuisé tout ce que peut éprouver de bien et de mal un être sensible, je perds peu à peu la vue et l’attente d’un avenir qui n’a plus de quoi me flatter, les désirs s’éteignent avec l’espé- rance, mon existence n’est plus que dan^ ma mémoire ; je ne vis plus que de ma vie jmssée, et sa durée cesse de m’être chère depuis que mon cœur n’a rien à sentir de nouveau.

Dans cet état, il est naturel que j’aime à tourner les yeux sur Te passé duquel je tiens désormais tout mon être, c’est alors que mes erreurs se corrigent et que le bien et le mal se font sentir à moi sans mélange et sans préjugés.

Tous les faux jugements que les passions m’ont fait faire s’évanouissent avec elles. Je vois les objets qui m’ont af- fecté, non tels qu’ils m’ont paru durant mon délire, mais tels qu’ils sont réellement ; le souvenir de mes actions bonnes ou mauvaises me fait un bien-être ou un mal-être durable plus réel que celui qui en fut l’objet.

Ainsi les plaisirs d’un moment m’ont souvent préparé de longs repentirs ; ainsi les sacrifices faits à l’honnêteté et à la justice me dédommagent tous les jours de ce* qu’ils m’ont une fois coûté, et pour de courtes privations riie donnent d’éternelles jouissances.

À qui puis-je mieux parler des charmes de ces souvenirs