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1(30 LETTRES SUR LA VERTU

puissions obtenir de nos efforts ? — Ma respectable amie, le principe de celte force est en nous, elle se montre un moment pour nous exciter à la chercher sans cesse ; ce saint enthousiasme est l’énergie de nos facultés qui se dégagent de leurs terrestres liens, et qull ne tiendrait qu’à nous peut-être de maintenir sans cesse dans cet état de liberté.

Quoi qu’il en soit, nous sentons au moins en nous- mêmes une voix qui nous défend de nous, mépriser ; la raison rampe, mais l’âme est élevée ; si nous sommes petits par nos lumières’, nous sommes grands par nos sen- timents, et quelque rang que soit le nôtre dans le système de Tunivers, un être ami de la justice et sensible aux vertus n’est point abject par sa nature.

Je n’ai plus rien à vous démontrer, ô Sophie I et s’il n’était question que de philosophes, je resterais à ce point, et me trouvant arrêté de toutes parts par les bornes de mes lumières, je finirais de vous instruire avant d’avoir commencé. Mais, je vous l’ai déjà dit, mon dessein n’est pas de raisonner avec vous, et c’est du fond de votre cœur que je veux tirer les seuls arguments qui doivent vous convaincre. Que je vous dise donc ce qui se passe dans le mien, et si vous éprouvez la même chose, les mêmes principe doivent nous convenir, la même route doit nous conduire dans la recherche du vrai bonheur.

Dans Tespace d’une vie assez courte, j’ai éprouvé de grandes vicissitudes ; sans sortir de ma pauvreté, j’ai pour ainsi dire, goûté de tous les états ; le bien et le mal- être se sont fait sentir à moi de toutes les manières. La nature me donna l’âme la plus sensible, le sort l’a sou- mise à toutes les affections imaginables, et je crois pouvoir