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que viennent toutes nos idées, ou du moins toutes sont occasionnées par eux. L’entendement humain, contraint et renfermé dans son enveloppe, ne peut pour ainsi dire pénétrer le corps qui le comprime, et n’agit qu’à travers les sensations. Ce sont, si Ton veut, cinq fenêtres par lesquelles notre âme voudrait se donner du jour ; mais les fenêtres sont petites, le vitrage est terne, le mur épais et la maison fort mal éclairée. Nos sens nous sont donnés pour nous conserver, non pour nous instruire ; pour nous avertir de ce qui nous est utile ou contraire, et non de ce qui est vrai ou faux : leur destination n’est point d’être employés aux recherches de la nature ; quand nous en faisons cet usage, ils sont insuffisants, ils nous trompent, et jamais nous ne pouvons être sûrs de trouver la vérité par eux. Les erreurs d’un sens se corrigent par un autre : si nous n’en avions qu’un il nous tromperait à jamais ; nous n’avons donc que des règles fautives pour se redresser mutuellement. Que deux fausses règles viennent à s’accorder, elles nous tromperont par leur acxord même, et si la troisième nous manque, quel moyen reste-t-il de découvrir l'erreur ?

La vue et le toucher sont les deux sens qui nous servent le plus à l’investigation de la vérité, parce qu’ils nous offrent les objets plus entiers, et dans un état de persévérance plus propre à l’observation que celui où ces mêmes objets donnent prise aux trois autres sens. Les deux premiers semblent aussi partager entre eux tout l’esprit philosophique. La vue qui d’un coup d’œil mesure l’hémisphère entier, représente la vaste capacité du génie systématique. Le toucher, lent et progressif, qui s’assure d’un objet avant de passer à un autre, ressemble à l’esprit d’ob-