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LETTRES SUR LA VERTU

des cas où l’on est obligé d’entreprendre plus qu’on ne peut exécuter, où l’on doit moins consulter ses forces que son devoir, et sur tout sujet important à la société je sais que nul ne peut refuser une déclaration de ses sentiments aussitôt qu’on la lui demande. Ne pensez pas non plus que je m’en impose à moi-même et que j’attende un grand succès de mes soins : je vois plus de curiosité que de zèle dans votre empressement à m’interroger, et je sens plus de zèle que de lumières dans mon ardeur à vous répondre. Mais ce que je n’aurai pu faire pour vous, je tâcherai de le faire pour moi-même. Se livra-t-on jamais sans fruit à l’étude de la vertu ? Non, ses divins effets sont incompréhensibles, elle échauffe même avant d’éclairer, on l’aime aussitôt qu’on la cherche, on la sent avant que de la connaître ; et dût ma raison s’égarer à sa poursuite, je me consolerai facilement d’une erreur qui me rendrait plus homme de bien.

Ne vous attendez pas de trouver ici, des dissertations métaphysiques, ni tout cet appareil de mots que beaucoup de lecteurs y chercheront sans doute, et qui ne sert qu’à rendre l’homme plus vain, sans le rendre meilleur ni plus éclairé. Cette affectation de doctrine ne siérait ni à l’auteur ni à l’ouvrage dans une matière où il est plus question de sentir que d’apercevoir, et que les plus simples entendent toujours mieux que les plus savants. La nature nous a donné des sentiments et non des lumières, et comme on ne peut sans injustice nous demander compte de ce que nous n’avons pas reçu, nous aurions trop à nous plaindre, si tant de savoir était nécessaire pour connaître la vertu.

Ma méthode sera plus simple et plus sûre. En sondant