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en denrées et autres productions. La dépense était de même nature que la recette. On ne payait ni les magistrats, ni les troupes, on les nourrissait ; on ne leur fournissait point des habits, et, dans les besoins pressants, les charges du peuple étaient en corvées et point en argent. Ses pénibles travaux publics ne coûtaient presque rien à l’État : c’était Touvrage de ces redoutables légions qui travaillaient comme elles se battaient, et qui n’étaient pas composées de canaille, mais de citoyens.

Quand les Romains commencèrent à s’agrandir et devinrent conquérants, ils prirent sur les peuples vaincus l’entretien de leurs troupes ; quand ils les payèrent, les sujets furent imposés, jamais les Romains. Dans les dangers pressants, le sénat se cotisait, il faisait des emprunts qu’il rendait fidèlement ; et, durant toute la république, je ne sache pas que jamais le peuple romain ait payé d’imposition pécuniaire ni par tête ni sur les terres.

Corses, voilà un beau modèle ; ne vous étonnez pas qu’il y eût plus de vertus chez les Romains qu’ailleurs ; l’argent y était moins nécessaire, l’État avait de petits revenus et faisait de grandes choses. Son trésor était dans les vies des citoyens. Je pourrais dire que par la situation de la Corse et par la forme de son gouvernement, il n’y en aura point au monde de moins dispendieux, puisque, étant une île et une république, elle n’aura nul besoin de troupes réglées, et que les chefs de l’État, rentrant tous dans l’égalité, ne pourront rien tirer de la masse commune qui n’y retourne en peu de temps.

Mais ce n’est pas ainsi que j’envisage le nerf de la force publique. Au contraire, je veux que l’on dépense beaucoup pour le service de l’État ; je ne dispute que sur le choix des