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la terre ferme, non-seulement rien n’y manqua pour les comestibles, mais les besoins d’aucune espèce n’y furent insupportables. Ceux qui s’y firent sentir le plus furent les munitions de guerre, les cuirs, les cotons pour les mèches, encore suppléa-t-on à ce dernier par la moelle de certains roseaux.

De ce petit nombre d’importations nécessaires, il faut retrancher encore tout ce que l’île ne fournit pas maintenant, mais qu’elle peut fournir, mieux cultivée et vivifiée par l’industrie. Plus on doit écarter avec soin les arts oiseux, les arts d’agrément et de mollesse, plus on doit favoriser ceux qui sont utiles à l’agriculture et avantageux à la vie humaine ; il ne nous faut ni sculpteurs, ni orfèvres, mais il nous faut des charpentiers et des forgerons ; il nous faut des tisserands, de bons ouvriers en laine, et non pas des brodeurs ni des tireurs d’or.

On commencera à s’assurer des matières premières les plus nécessaires, savoir : le bois, le fer, la laine, le cuir, le chanvre et le lin. L’île abondait en bois tant pour la construction que pour le chauffage ; mais il ne faut pas se fier à cette abondance et abandonner l’usage et la coupe des forêts à la seule discrétion des propriétaires. À mesure que la population de l’île augmentera et que les défrichements se multiplieront, il se fera dans les bois un dégât rapide qui ne pourra se réparer que très-lentement....

La Suisse était jadis couverte de bois en telle abondance qu’elle en était incommodée ; mais tant pour la multiplication des pâturages que pour l’établissement des manufactures, on les a coupés sans mesure et sans règle ; maintenant ces forêts immenses ne montrent que des rochers presque nus. Heureusement avertis par l’exemple de la