état heureux dans sa médiocrité, respectable dans sa simplicité, fournissant tous les besoins de la vie, tous les tributs publics. Sans ventes et sans trafic, il n’en laisse pas même imaginer un meilleur ou plus noble ; tous les moyens de la considération et tous ceux qui le rempliront, ne voyant rien au-dessus d’eux, en feront leur gloire, ils le rempliront comme les plus grands emplois, ainsi que les premiers Romains. Ne pouvant sortir de cet état, on voudra s’y distinguer, on voudra le remplir mieux que d’autres : faire de plus grandes récoltes, fournir un plus fort contingent à l’État, mériter dans les élections les suffrages du peuple ; de nombreuses familles bien nourries, bien vêtues, en feront honorer les chefs, et l’abondance réelle étant l’unique objet de luxe, chacun voudra se distinguer par ce luxe-là. Tant que le cœur humain demeurera ce qu’il est, de pareils établissements ne produiront pas la paresse ; ce que les magistrats en particulier, et les pères de famille doivent faire dans chaque jurisdiction, dans chaque piève, dans chaque héritage, pour n’avoir pas besoin des autres, le gouvernement général de l’île doit le faire pour n’avoir pas besoin des peuples voisins. Un registre exact des marchandises qui sont entrées dans l’île durant un certain nombre d’années, donnera un état sûr et fidèle de celles dont elle ne peut se passer, car ce n’est pas dans la situation présente que le luxe et le superflu y peuvent avoir lieu. Avec d’attentives observations, tant sur ce que l’île produit que sur ce qu’elle peut produire, on trouva que le nécessaire étranger se réduit à très-peu de chose, et c’est ce qui se confirme parfaitement par les faits, puisque dans les années 1735 et 1756 que l’île, bloquée par la marine génoise, n’avait aucune communication avec
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