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rit, plus les taxes sont fortes ; et pour payer ces taxes, il ne sert de rien que le paysan cultive sa terre s’il n’en vend pas le produit ; il a beau avoir du blé, du vin, de l’huile, il lui faut absolument de l’argent ; il faut qu’il porte, çà et là, sa denrée dans les villes ; qu’il se fasse petit marchand, petit vendeur, petit fripon. Ses enfants, élevés dans le courtage débaucheur, s’attacheront aux villes et perdront le goût de leur état ; se feront matelots ou soldats plutôt que de prendre l’état de leur père. Bientôt la campagne se dépeuple et la ville regorge de vagabonds ; peu à peu le pain manque, la misère publique augmente avec l’opulence des particuliers, et l’une et l’autre, de concert, animent tous les vices qui causent enfin la ruine d’une nation.

Je regarde si bien tout système de commerce comme destructif de l’agriculture, que je n’en excepte pas même le commerce des denrées qui sont le produit de l’agriculture. Pour qu’elle pût se soutenir dans ce système, il faudrait que le profit pût se partager également entre le marchand et le cultivateur. Mais c’est ce qui est impossible, parce que le négoce de l’un étant toujours libre, et celui de l’autre forcé, le premier fera toujours la loi au second ; rapport qui, rompant l’équilibre, ne peut faire un État solide et permanent.

Il ne faut pas s’imaginer que l’île en sera plus riche lorsqu’elle aura beaucoup d’argent. Cela sera vrai vis-à-vis des autres peuples et par les rapports extérieurs ; mais en elle-même, une nation n’en est ni plus riche ni plus pauvre pour avoir plus ou moins d’argent : ce qui revient à la même chose, parce que la même quantité d’argent y circule avec plus ou moins d’activité. Non-seulement l’argent est un signe, mais c’est un signe relatif qui n’a d’effet véri-