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livré leur nation au prix de leur sang, étant en possession de tous ces avantages, jouissent au premier rang de la liberté qu’ils lui ont acquise. Mais, dés le jour de l’union formée et du serment solennellement prêté, tous ceux qui, nés dans l’île, n’auraient pas atteint l’âge, resteront dans la classe des aspirants, jusqu’à ce qu’aux conditions suivantes ils puissent monter aux deux autres classes :

Tout aspirant marié selon la loi, qui aura quelque fonds en propre, indépendamment de ceux de sa femme, sera inscrit dans la classe des patriotes.

Tout patriote marié ou veuf qui aura deux enfants vivants, une habitation à lui et un fonds de terre suffisant pour sa subsistance, sera inscrit dans la classe des citoyens.

Ce premier pas, suffisant pour mettre les terres en crédit, ne suffit pas pour les mettre en culture, si l’on n’ôte la nécessité d’argent qui a fait la pauvreté de l’île sous le gouvernement génois. Il faut établir pour maxime certaine que, partout où l’argent est de première nécessité, la nation se détache de l’agriculture pour se jeter dans les professions plus lucratives ; l’état de laboureur est alors un objet de commerce et une espèce de manufacture pour les grands fermiers, ou de pis-aller de la misère pour la foule des paysans. Ceux qui s’enrichissent par le commerce et l’industrie placent, quand ils ont assez gagné, leur argent en fonds de terre que d’autres cultivent pour eux-mêmes ; toute la nation se trouve ainsi divisée en riches fainéants, qui possèdent les terres, et en malheureux paysans, qui n’ont pas de quoi vivre en les cultivant.

Plus l’argent est nécessaire aux particuliers, plus il l’est au gouvernement ; d’où il suit que, plus le commerce fleu-