Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/40

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-tendrissement, qu’on sent en soi-même, et qui se prolongent après la pièce, annoncent-ils une disposition bien prochaine à surmonter et régler nos passions ? Les impressions vives et touchantes dont nous prenons l’habitude, et qui reviennent si souvent, sont-elles bien propres à modérer nos sentiments au besoin ? Pourquoi l’image des peines qui naissent des passions effacerait-elle celle des transports de plaisir et de joie qu’on en voit aussi naître, et que les auteurs ont soin d’embellir encore pour rendre leurs pièces plus agréables ? Ne sait-on pas que toutes les passions sont sœurs, qu’une seule suffit pour en exciter mille, et que les combattre l’une par l’autre n’est qu’un moyen de rendre le cœur plus sensible à toutes ? Le seul instrument qui serve à les purger est la raison ; et j’ai déjà dit que la raison n’avait nul effet au théâtre. Nous ne partageons pas les affections de tous les personnages, il est vrai ; car, leurs intérêts étant opposés, il faut bien que l’auteur nous en fasse préférer quelqu’un, autrement nous n’en prendrions point du tout : mais, loin de choisir pour cela les passions qu’il veut nous faire aimer, il est forcé de choisir celles que nous aimons. Ce que j ’ai dit du genre des spectacles doit s’entendre encore de l’intérêt qu’on y fait régner. À Londres, un drame intéresse en faisant haïr les Français ; à Tunis, la belle passion serait la piraterie ; à Messine, une vengeance bien savoureuse ; à Goa, l’honneur de brûler des Juifs. Qu’un auteur [1] choque ces maximes,

  1. Qu’on mette, pour voir, sur la scène française un homme droit