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turelles, et de donner une nouvelle énergie à toutes Jes passions. En ce sens il semblerait que, cet effet se bornant à charger et non changer les mœurs établies, la comédie serait bonne aux bons et mauvaise aux méchants. Encore, dans le premier cas, resterait-il toujours à savoir si les passions trop irritées ne dégénèrent point en vices. Je sais que la poétique du théâtre prétend faire tout le contraire, et purger les passions en les excitant : mais j’ai peine à bien concevoir cette règle. Serait-ce que, pour devenir tempérant et sage, il faut commencer par être furieux et fou ?

« Eh ! non, ce n’est pas cela, disent les partisans du théâtre. La tragédie prétend bien que toutes les passions dont elle fait des tableaux nous émeute vent, mais elle ne veut pas toujours que notre affection soif la même que celle du personnage tourmenté par une passion. Le plus souvent, au contraire, son but est d’exciter en nous des sentiments opposés à ceux qu’elle prête à ses personnages. » Ils disent encore que, si les auteurs abusent du pouvoir d’émouvoir les cœurs pour mal placer l’intérêt, cette faute doit être attribuée à l’ignorance et à la dépravation des artistes, et non point à l’art. Ils disent enfin que la peinture fidèle des passions et des peines qui les accompagnent suffit seule pour nous les faire éviter avec tout le soin dont nous sommes capables.

Il ne faut, pour sentir la mauvaise foi de toutes ces réponses, que consulter l’état de son cœur à la fin d’une tragédie. L’émotion, le trouble et l’at-