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sans vous auraient pris ce soin ; et votre délicatesse n’aura-t-elle rien à se reprocher à notre égard ? Je le crains d’autant plus que le talent dont vous avez montré au théâtre lyrique de si heureux essais, comme musicien et comme poète, est du moins aussi propre à faire au spectacle des partisans, que votre éloquence à leur en enlever. Le plaisir de vous lire ne nuira point à celui de vous entendre ; et vous aurez longtemps la douleur de voir le Devin du village détruire tout le bien que vos écrits contre la comédie auraient pu nous faire.

Il me reste à vous dire un mot sur les deux autres articles de votre lettre, et en premier lieu sur les raisons que vous apportez contre l’établissement d’un théâtre de comédie à Genève. Cette partie de votre ouvrage, je dois l’avouer, est celle qui a trouvé à Paris le moins de contradicteurs. Très-indulgents envers nous-mêmes, nous regardons les spectacles comme un aliment nécessaire à notre frivolité ; mais nous décidons volontiers que Genève ne doit point en avoir ; pourvu que nos riches oisifs aillent tous les jours, pendant trois heures, se soulager au théâtre du poids du temps qui les accable, peu leur importe qu’on s’amuse ailleurs ; parce que Dieu, pour me servir d’une de vos plus heureuses expressions, les a doués d’une douceur très-méritoire à supporter l’ennui des autres. Mais je doute que les Génevois, qui s’intéressent un peu plus que nous à ce qui les regarde, applaudissent de même à votre sévérité. C’est d’après un désir qui m’a paru presque